Tu as le regard posé sur le coucher de soleil. Tu t'y cantonnes, tu t'y raccroches. Reste-il le moindre espoir pour que tu t'en sortes dans cette tragédie ? Tes doutes t'assiègent pourtant, tu ne démords pas, tu restes concentré sur le décor, sur la clarté opaque de la lune qui entame son ascension, les derniers rayons du soleil qui se meurent derrière les montagnes... et laissent dans le ciel tout autant de couleurs chaudes égales à un dernier cri avant de disparaître complètement dans la nuit. Ce spectacle te coupe le souffle et, brusquement, un souvenir te revient en tête, comme un peu d'oxygène que tu aurais attrapé à la sauvette.

Tu es allongé sur l'herbe, ta mère est assise près de toi. Vous regardez un coucher de soleil, il est tard, mais l'air est bon. Il y a tout juste une année, ta mère et ton père se sont séparés. Tu te souviens des épreuves qu'elle a traversé, de la terreur dans laquelle elle vivait auprès de ton géniteur et tu ne peux que ressentir une certaine admiration pour cette femme... prête à tout pour toi. Ton regard se tourne vers elle, son visage est impassible, elle fixe l'horizon sans broncher. Tu te surprends à sourire légèrement. Cette femme, si forte soit-elle, cache une énorme douleur. Tu peux le lire dans ses yeux. Et Dieu sait que tu aimerais calmer ses cauchemars, ses craintes. Alors timidement, tu te redresses sur ton séant et vient enlacer ses épaules. Il y a tout juste une année, elle prenait la décision de quitter son mari pour t'élever seule. Tu sais qu'elle prend énormément sur elle pour ne pas sombrer, ni craquer. Alors tu t'hasardes à lui dire trois petits mots qui auront toute leur importance. je t'aime maman. Ta voix brise le silence, elle tourne son visage vers toi et t'adresse un sourire qui réchauffe instinctivement ton cœur. Elle t'aime aussi, tu le sais. Elle dépose un léger baiser sur ta tempe et puis vos yeux se perdent à nouveau dans l'horizon, tout va bien... tu le sais !

Un bruit t'arrache à ce doux souvenir. D'instinct, ton visage se tourne à trois-cent-soixante degré. Il n'y a personne, rien derrière toi. Sur tes gardes, tu descends du rebord de la fenêtre sur lequel tu t'étais installé et oses un pas en avant. Plus un bruit, juste le murmure de quelques voix dans la pièce principale, au bout du couloir. Tu sais qu'ils sont nombreux là-bas, mais tous sont de ton côté. Après tout, ils sont ceux qui t'ont accueilli ici, avec Azure. Tu soupires, tes nouvelles conditions d'Homme ne te plaisent pas. Toujours sur la défensive, tu crains les rodeurs comme on craint la peste. Tu n'as pas souvenir d'avoir un jour traversé pareille épreuve. Tu t'adosses à la fenêtre en baillant, la fatigue est quasi-constante chez toi, manque cruel d'activité physique puisqu'on ne te donne que des menus travaux dont tu te passerais bien. Tu glisses le long du mur, t'assied sur le sol et ramène ton visage entre tes genoux, tu fermes les yeux... Un nouveau souvenir te frappe en plein cœur, cette fois, il te transperce telle une lame et tu sens tes muscles se crisper au fur et à mesure que la scène se dessine.

Tu cours, tu es à bout de souffle. Tes jambes vacillent et ton cœur se serrer dans ta poitrine. Devant toi, il y a Azure qui court aussi, sans s'arrêter, sans se retourner. Derrière toi, tu sens que ta mère vous suit, malgré toute la peine qu'elle a à avancer. Tu sens l'odeur ignoble des rôdeurs tout autour de vous et l'adrénaline te pousse à continuer ta course. Malgré les douleurs, malgré le souffle au cœur, malgré la peine que tu as à tenir le choc. Tu es trop angoissé, tu as envie d'hurler, de fermer les yeux et d'espérer qu'il ne s'agit là que d'un cauchemar mais tu sais que ce ne sera plus jamais le cas. Voilà deux semaines que tu fais la même chose... t'es paumé, complètement. Le Monde entier a sombré, et tu sombres avec. Ton dernier ancrage repose sur les épaules de ta mère, toujours présente, toujours là. Ta mère et Azure, une ado', comme toi, que vous avez rencontrée par la force des choses. C'est d'ailleurs avec elle que tu t'enfuis, en compagnie de ta mère. Tout a tourné au vinaigre dans votre quartier, tu as été l'un des premiers à le remarquer. Alors tu cours, tu ne t'arrêtes pas... jusqu'à ce que tu entendes un bruit sourd. Un hurlement, ça te glace le sang. Tu stoppes net ta course, Azure te hurle de poursuivre mais tu ne peux pas t'en empêcher, tu te retournes sur toi même et le spectacle que tu observes manque de t'achever. Ta mère s'est faite rattraper... Tu esquisses un pas en sa direction mais la main d'Azure agrippe ton poignet. N'y va pas te murmure-t-elle en soupirant, mais la douleur est trop fort. MAMAN !!!! Tu ne sais même pas pourquoi tu hurles si fort, mais ta voix est rauque et le goût qu'elle laisse dans ta gorge est amer. Tu suffoques. Tes yeux ne lâchent pas le visage de ta mère, en proie à une angoisse déchirante... ils s'acharnent sur elle, tu les vois ronger chaque partie de son corps et les hurlements de ta mère s'intensifie. Tu ne bouges cependant pas, mû par l'appréhension. Tu sais ce qui t'attends, tu ne peux plus rien pour elle et pourtant, tu espères encore. Mais lorsque tu vois la vie s'éteindre dans les yeux de ta mère, tu réalises alors que ton cœur vient de se briser et que ton avenir est détruit. Elle te regarde une dernière fois, tu penses lire un "je t'aime" sur ses lèvres alors que son corps tout entier disparaît sous la horde de rôdeur qui s'est jetée sur elle. Tes jambes tremblent, tu n'as plus de force... pourtant, Azure t'entraîne avec elle. Tu ne sais pas comment tu y arrives, mais tu reprends ta course tandis que les larmes, brûlantes, écorchent ton visage. Tu viens de perdre la dernière chose qui te maintenait encore en vie... et maintenant, qu'Est-ce que tu vas faire ?

Tu réalises brusquement que tu t'es remis à pleurer. Tu balaies du revers de la main la larme qui pointe sur tes lèvres et tu reprends ta respiration. T'as pas l'droit de craquer, pas encore. Depuis que vous avez trouvé refuge auprès des Revivers, la situation semble s'être calmée. Ici, tu es en sécurité, du moins, tu oses l'espérer encore un peu. Voilà plus de deux semaines que ta mère est morte et toujours, tu n'arrives pas à dormir. Ne reste aujourd'hui plus que ton père, ton géniteur. Un homme à qui tu n'as plus adressé la parole depuis le divorce de tes parents. Et pour cause, il frappait ta mère. Tu le sais, tu l'as vu. Alors tu le détestes, et parfois, tu te surprends à espérer qu'il a connu un sort aussi terrible que ta mère. Si ç'avait été si simple, tu aurais volontiers échangé sa place contre celle de cette dernière. Tu donnerais tout pour l'avoir près de toi encore une fois... Mais tu es seul, seul en compagnie d'Azure, qui t'apporte un rien de réconfort sans pour autant combler le manque. Le Monde est à la dérive, mais toi... toi, tu ne vois que ton propre désespoir. Le reste, tu t'en moques bien. A quoi bon lutter si ta mère n'est plus ici ? La question se pose souvent, mais tu n'as jamais su y trouver une réponse.